La Semaine de l’Économie Sociale et Solidaire à l’École : un levier pour une éducation citoyenne et critique
- Laurence Rakoto
- 24 mars
- 5 min de lecture

Du 24 au 29 mars 2025, la France accueille la 9ᵉ édition de la Semaine de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) à l’École. Organisée par L’ESPER et l’OCCE, cette initiative vise à sensibiliser les élèves, de la maternelle au lycée, aux principes de l’ESS : coopération, démocratie, solidarité, utilité sociale et respect de l’environnement.
Depuis sa création en 2017, la Semaine de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) a impliqué plus de 26 000 élèves, des centaines d’établissements scolaires et des milliers d’acteurs de l’ESS dans toutes les régions françaises. En 2024, plus de 420 projets ont été recensés, impliquant aussi bien des écoles rurales que des lycées urbains.
Un contexte éducatif en mutation
Face à l'urgence sociale et écologique, à la montée des inégalités et à une perte de sens dans le travail, l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) se présente comme une voie alternative. Elle regroupe un ensemble d’activités économiques fondées sur des principes tels que la coopération, la gestion démocratique, la priorité à l’humain sur le profit, et l’utilité sociale. Coopératives, mutuelles, associations, fondations ou entreprises sociales : tous ces acteurs composent un tissu économique qui pèse aujourd’hui près de 10 % de l’emploi en France.
Introduire l’ESS à l’école, c’est donc permettre aux élèves de découvrir une autre manière de produire, de consommer, de travailler et d’habiter le monde. Ce choix pédagogique s’inscrit dans une volonté plus large de former des citoyens capables de penser collectivement l’avenir et de s’engager dans des démarches solidaires. Il répond aussi à une demande croissante de sens exprimée par les jeunes générations. Dans cette perspective, l’économiste Robert Boyer, fondateur de la théorie de la régulation, affirme dans La Revue de la Régulation :
« L’ESS n’est que rarement l’expression d’un choix collectif au niveau de l’ensemble de la société », mais elle « a émergé comme une alternative partielle et expérimentale face aux dysfonctionnements croissants du capitalisme néolibéral ».
Cette analyse rappelle que l’ESS ne se limite pas à une réponse marginale ou ponctuelle, mais qu’elle peut être porteuse de transformation sociale dès lors qu’elle s’ancre dans des dynamiques éducatives, locales et démocratiques.
De son côté, Wojtek Kalinowski, codirecteur de l’Institut Veblen, déclarait dans Le Monde en 2024 :
« Nous avons besoin d’entrepreneurs qui exigent un changement de modèle. »
En effet, face aux défis environnementaux et sociaux actuels, il est impératif que les acteurs économiques prennent l’initiative de repenser les structures existantes. L’ESS offre une alternative en promouvant des pratiques économiques centrées sur l’humain et le respect des limites planétaires. L’engagement des entrepreneurs est essentiel pour impulser cette transition vers une économie plus sobre et résiliente, capable de répondre aux aspirations des nouvelles générations tout en préservant les ressources pour l’avenir.
Une éducation tournée vers la coopération et la pensée critique
Selon une étude d’évaluation publiée par L’ESPER en 2023, 92 % des enseignants estiment que les élèves ont développé leur esprit critique et leur capacité à coopérer, et 88 % des jeunes affirment avoir découvert un autre rapport au travail et à l’économie.
Un article publié dans La Revue internationale d’éducation de Sèvres met en évidence ce constat :
« Les systèmes éducatifs sont aujourd’hui confrontés à des défis de société majeurs : changement climatique, désinformation, montée des inégalités… Nombreux sont les établissements scolaires conscients de la nécessité de promouvoir la formation à la pensée critique, la résolution de problèmes ou l’apprentissage autonome et collaboratif. »
Ces finalités éducatives rejoignent les objectifs portés par l’ESS, où la coopération remplace la compétition, et où l’action collective prime sur l’individualisme.
Par ailleurs, dans un article de La Revue internationale de l’économie sociale (RECMA), les chercheurs rappellent que :
« L’éducation à la solidarité repose sur les mêmes principes que ceux de l’économie sociale : engagement, coopération, responsabilité et démocratie. »
Cette synergie théorique entre pédagogie et ESS offre un socle solide pour construire à l’école des démarches citoyennes, collectives et émancipatrices. En intégrant ces pratiques dans les apprentissages, les enseignants contribuent à forger des jeunes capables de questionner les modèles dominants, de proposer des alternatives concrètes, et de s’engager dans une transformation sociale durable.
⸻
Exemples de projets ESS dans le Val-de-Marne et à Villejuif
Des initiatives comme La KVRN à Villejuif ou les ateliers d’élèves créateurs d’associations solidaires illustrent la capacité de l’ESS à créer du lien, réduire les écarts, et redonner du pouvoir d’agir à celles et ceux qui en sont souvent privés. Un exemple notable est La KVRN, un tiers-lieu situé au 17 boulevard Chastenet de Géry, dans le quartier du Vercors à Villejuif. Piloté par l’ESS Club, ce réseau d’opérateurs locaux dédiés au lien social et solidaire en tiers-lieux inclusifs, La KVRN propose une programmation variée en partenariat avec des associations telles que l'Atelier des Arts et l'APES.
Les activités offertes par La KVRN couvrent divers domaines, notamment l’éducation et la culture, avec des ateliers d’éveil musical pour les enfants dès 3 ans, des sessions d’éloquence et de communication orale pour les adolescents, ainsi que des événements familiaux organisés régulièrement. Ces initiatives visent particulièrement les quartiers prioritaires de Villejuif, renforçant ainsi la cohésion sociale et l’accès à la culture pour tous.
En novembre 2024, dans le cadre du Mois de l’ESS, La KVRN a ouvert ses portes au public, offrant une opportunité aux habitants de découvrir les multiples activités proposées, telles que le soutien scolaire, le yoga, la sophrologie, et des ateliers pour la recherche d’emploi et la création d’entreprise . Ces actions illustrent l’engagement de l’ESS Club et de La KVRN dans la promotion de valeurs telles que la coopération, la solidarité et le développement durable au sein de la communauté locale. 
Plus largement, au sein du quartier Lebon-Lamartine (Villejuif), des locaux pour des structures ESS sont prévus dans le cadre d’un renouvellement urbain et dans le Val-de-un Mois de l’ESS est organisé chaque année pour proposer conférences, ateliers, forums citoyens.
L’ un des apports fondamentaux de l’Économie Sociale et Solidaire dans l’espace éducatif réside ainsi dans sa capacité à réduire les inégalités et inclure les publics les plus éloignés de l’école ou de l’économie traditionnelle. Dans une tribune parue dans Le Monde le 28 septembre 2024, Delphine Batho, députée et ancienne ministre de l’Écologie, et Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté, défendent cette vision intégrée et sociale de l’éducation :
« Nous refusons l’idée qu’il faudrait choisir entre lutte contre la pauvreté et respect des limites planétaires. »
Cette déclaration prend tout son sens dans un contexte scolaire où les enjeux sociaux et environnementaux ne peuvent plus être traités séparément. L’ESS, en tant que modèle éducatif et économique, propose des dispositifs concrets pour accompagner les jeunes des quartiers prioritaires, les élèves en situation de décrochage, ou encore les familles en précarité, en leur offrant des cadres d’engagement collectif, des activités éducatives gratuites ou à prix réduit, et des expériences de coopération.
En ce sens, l’ESS devient un vecteur d’inclusion dans l’éducation. C’est un engagement partagé par de nombreux acteurs de la transition sociale et écologique.
Comments