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La Baronne perchée ou la fugue intérieure





Une adolescente grimpe aux arbres pour échapper au vide laissé par la disparition de sa mère. Dans un roman délicat et lumineux, Delphine Bertholon explore la fragilité de l’enfance et le poids des silences familiaux. Un conte suspendu entre l’absence et la résilience.

On pensait tout connaître de la fugue adolescente. Les portes qui claquent, les regards en biais, les fuites organisées sur un coup de tête. Mais La Baronne perchée, nouveau roman de Delphine Bertholon publié chez Flammarion (février 2025), prend un tout autre chemin. Celui du repli, du silence, de la lente élévation intérieure. Une échappée douce-amère portée par Billie, treize ans, qui décide de s’éloigner du monde pour respirer enfin. Fuir la maison, dit-elle ? Non. Fuir le vide.


L'autrice construit son roman sans lourdeur ni effets, mais avec cette finesse d’écoute qui caractérise ses précédents ouvrages. Elle choisit ici de suivre les trajectoires entremêlées d’un père et de sa fille, laissés seuls après la disparition de la mère. Si la voix de Billie est au cœur du récit, celle du père, plus sourde, plus maladroite, donne au texte une profondeur inattendue. Deux langages, deux manières de vivre le deuil, que l’autrice fait dialoguer sans jamais les forcer à se rejoindre. Le lecteur est ainsi invité à glisser d’un point de vue à l’autre, comme dans une fugue musicale. Et si la mère n’a pas de chapitre à elle, sa présence traverse chaque page — comme un courant invisible qui alimente, mine et transcende à la fois.


Dans la forêt où elle se réfugie, Billie ne cherche pas à se perdre, mais à se retrouver. Le titre du roman est un hommage au Baron perché d’Italo Calvino, cette figure littéraire du refus et de l’élévation. Mais ici, pas de satire ni de posture. La transcription est réalisée avec justesse pour décrire la sensibilité d’une adolescente qui ne supporte plus le vacarme du monde adulte.


« En pensant à sa mère, Billie entendait toujours la chanson de Jacques Brel. Elle rêvait qu'un beau matin, Léo puisse la chanter, la hurler - Mathilde est revenue. 
Mais elle n'y croyait pas, bien sûr. Elle n'y croyait plus depuis longtemps, à cette fable qu'elle se racontait jadis le soir sous les draps, qu'un jour "maman" toquerait à leur porte et la supplierait de lui pardonner. Tout ce que cette maudite Mathilde lui avait laissé, c'était un prénom de chanteuse, une tignasse couleur de feu et un père translucide fragile comme du verre. Si Billie aimait tant les endroits désaffectés, c'était peut-être pour cette raison. » 


Cet extrait, comme tant d’autres, résonne longtemps après avoir fermé le livre. Il dit tout : la solitude, le manque, et cette dignité particulière de ceux qui souffrent sans bruit.


Née en 1976 à Lyon, Delphine Bertholon est romancière, scénariste et enseignante. Après une hypokhâgne et une khâgne, elle poursuit des études de lettres modernes jusqu'à la maîtrise. Elle enseigne aujourd’hui la dramaturgie à Paris. On la connaît pour ses romans comme Twist (2011), Grâce (2012), ou encore Cœur-Naufrage (2017), où elle explore souvent des trajectoires féminines face à des traumatismes enfouis. Mais dans La Baronne perchée, c’est peut-être la professeure qui s’exprime le plus. Celle qui, face à ses élèves, apprend à faire entendre les voix dissonantes, à accueillir les silences.


Le roman ne s’impose pas, il chuchote. Il touche parce qu’il ne cherche pas à émouvoir — et c’est là sa plus grande force. Difficile de ne pas penser à La Vraie Vie d’Adeline Dieudonné (L’Iconoclaste, 2018), autre roman d’une adolescence en équilibre précaire. Mais là où Dieudonné construisait une fable électrique, Bertholon propose une variation plus feutrée, presque murmurée .À la manière d’un film de Jeanne Herry (Pupille), ou d’un conte de Miyazaki (Le Château ambulant), La Baronne perchée s’ancre dans le réel tout en ouvrant des échappées poétiques. C’est aussi un roman de contrastes : tendre mais lucide, triste mais sans pathos, limpide mais jamais simpliste. Billie, du haut de ses treize ans, nous rappelle que les enfants sentent tout — même quand on croit les épargner. Dans un style clair, sans fioritures, on explore ce que l’on tait, ce que l’on ressent, ce que l’on évite. L’ amour, la peur, la disparition. Et surtout, cette volonté farouche de rester debout quand tout vacille.



Alors oui, La Baronne perchée est un roman sur le deuil. Mais c’est surtout un roman sur l’élan. Celui qui pousse à grimper un arbre, à échapper au bruit, à choisir la hauteur plutôt que le renoncement. Billie est une héroïne du XXIe siècle : discrète, forte, libre.

 
 
 

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